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Jersey, un refuge dans la tourmente révolutionnaire

1792 - 1814

Jersey, un refuge dans la tourmente révolutionnaire

Le temps de l’exil

vendredi 8 août 2008, par Nicolas Stephant


La révolution française a forcé de nombreux nobles à émigrer pour combattre des idées qui remettaient trop en cause leur mode de vie.

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Jersey, la baie de Beauport

Beaucoup de normands se sont retrouvé dans l’île de Jersey pour intégrer une division commandée par le comte Louis Jean David le Trésor de Bactot, lointain descendant de Louis de Pierrepont de Lamberville par sa fille Suzanne. Nombre d’entre eux sont arrivés en 1792.

Dans les papiers du comte de Bactot [1] on trouve une liste d’émigrés normands ainsi que la composition des 4 compagnies de la division où l’on notera la présence d’un chevalier de Pierrepont. Ce dernier occupe l’emploi de caporal dans la quatrième compagnie ce qui semble un bien petit emploi pour un noble normalement affecté comme officier sous l’ancien régime. L’explication réside dans les circonstances exceptionnelles qui ont régi la formation du régiment le 25 Décembre 1794 : presque tous les hommes de ce corps appartiennent à la noblesse et doivent donc majoritairement être employés comme simple soldat. Les quelques officiers et gradés sont probablement des militaires chevronnés comme le comte de Bactot qui fut nommé major de camp (général) juste avant la révolution pour commander le régiment de Lorraine-dragons [2]. Notre chevalier "caporal" de Pierrepont pourrait donc avoir une expérience militaire ; le candidat le plus "tentant" est Guillaume de Pierrepont, présent à Jersey (voir les notes de bas de page), miltaire et chevalier (de l’ordre de St Louis) ; était-il déjà lieutenant-colonel de cavalerie ? si c’est lui, le caporal devait avoir l’air bien sévère et accuser déjà un certain âge !

Le point culminant de cette aventure aurait pu être le débarquement de Quiberon en 1795. Cette tentative du futur Louis XVIII de débarquer en Bretagne avec un corps expéditionnaire afin de soutenir et rallier la chouannerie pour soulever assez de forces sur place et reprendre le trône fut en effet effectuée par une troupe composée essentiellement d’émigrés à l’image de la division le Trésor. Pourtant la destination de cette division n’était pas la Bretagne et Quiberon mais bel et bien la Normandie dans les environs de Granville. Un deuxième débarquement dans cette zone était en effet prévu à la suite de celui de Quiberon pour "ouvrir un nouveau front" grâçe aux troupes d’émigrés massées à Jersey et Guernesey en trois divisions : celle du comte de Bactot, celle du prince de Leon (toutes deux à Jersey) et celle du comte d’Oilliamson (basée à Guernesey). Comme le montre J. Toussaint [3], l’embarquement va même avoir lieu pour les troupes du comte de Bactot qui va écrire à Jersey une lettre datée du 23 Août 1795 et adressée aux autorités ecclésiastiques de l’île pour demander la prise en charge des subsides des nombreux prêtres présents à bord de ses vaisseaux et dont il ne peut plus assurer la subsistance. Ecrite à bord du Fanni dans la rade de Spithead sur la côte sud de l’Angleterre, cette lettre laisse transparaître le désarroi et le dénuement dans lequel se trouve la corps expéditionnaire dont le chef ne se doutait pas qu’il passerait autant de temps en mer avant de réaliser qu’il s’agissait déjà de six semaines et qu’il faudrait probablement tenir encore deux semaines ou davantage. Cette longue attente était certainement la conséquence du désastre du débarquement de Quiberon où les troupes républicaines de Hoche attendaient tranquillement les émigrés pour en massacrer plus de 800 malgré le secret qui entourait le lieu et la date du débarquement dont on comprend, en lisant son courrier, que le comte du Trésor lui-même n’était pas informé. Ce désastre remettait évidemment tout le projet en cause et surtout le débarquement à Granville des émigrés normands qui n’aura finalement jamais lieu ; cependant il faudra une longue (et probablement douloureuse) réflexion aux chefs royalistes et à leurs alliés anglais pour se résoudre à faire rebrousser chemin aux vaisseaux sur lesquelles se tenaient les troupes de débarquement ; la durée du séjour en mer s’explique logiquement ainsi car il est peu probable que la raison de ce long séjour nautique tienne à des considérations tactiques de navigation étant donné la suprématie totale de la marine anglaise à ce moment là. Ainsi ont du s’achever les rêves de gloire de notre chevalier de Pierrepont après une longue promenade en mer.

Revenons un instant sur la présence de nombreux prêtres à bord des vaisseaux du comte de Bactot ; normalement, il n’entrait pas dans leurs attributions de participer à des combats d’aussi près et il est donc très étonnant de les trouver là, mais l’explication est simple car on attend d’eux qu’ils motivent la population à se joindre au soulèvement en agissant en actifs agents de propagande pour toucher les sentiments religieux de la population de l’ouest. Ceci, semble t-il, contre l’avis des autorités religieuses qui préféraient voir les prêtres employés à des tâches plus conformes à leur sacerdoce mais qui n’avaient pu empêcher les volontaires de se joindre aux troupes.

D’autres notes prises par l’officier général le Trésor, vers 1814 [4], concernent les personnes réfugiées à Jersey souvent échoués sur cette terre d’exil après avoir traversé la tempête révolutionnaire ; voici l’exemple d’un autre membre de la famille de Pierrepont sous la plume du comte de Bactot :

"de Pierrepont, 76 ans, curé de Lizon (diocèse de Bayeux), épilé et déporté en 1792, privé de tout absolument en France, meubles et immeubles. Hors d’état pour son âge et sa grande infirmité de remplir aucune fonction du saint ministère. Touche le secours ecclésiastique de Jersey de 3 livres sterling. Pour moi, sa cure valait de 12 à 14000 livres de revenus ".

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L’église de Lison en 2004

Comme nous l’apprend le répertoire des curés de la Manche sous la révolution, il s’agit de François Henri de Pierrepont [de Feugères], écuyer, sieur de Brenouville et curé de Lison (14). Membre de la branche de Feugères, il y nait le 12/08/1738, fils de Nicolas et Jourdaine le Longuet. Sommé, comme tous les prêtres, de prêter serment à la république, il refuse d’obéir avec les conséquences décrites plus haut.

Par ailleurs, le comte de L’Estourbeillon [5] nous apprend qu’il célèbre tout de même plusieurs offices à Jersey :

15 mai 1807, François Henry de Pierrepont, curé de Pierrepont au diocèse de Bayeux, célèbre l’enterrement de Charles Dubois, prêtre déporté.

1811 : Baptême célébré par le ministère de M L’abbé de Pierrepont d’Adélaïde-Joséphine Morvant, fille de M Pierre-victor Morvant, officier royaliste et dame Zoé-Adrienne de Gouyon de Vaucouleurs, son épouse

Il meurt en exil à Jersey, le 20 mai 1829, probablement sans avoir jamais revu sa terre natale.

Pendant une courte année, il aura sans doute partagé cet exil avec sa cousine Aimée-Françoise-Marie-Louise, fille de Guillaume de Pierrepont, Ecuyer (ca 1745) et de Scholastique Duhamel, Patronne de Hottot (ca 1750) [6]

Nicolas STEPHANT




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